Dans une lettre ouverte publiée sur le site du journal québecois Le Devoir, trois responsables d’association défendant les locataires et le droit au logement au Québec dénoncent l’impact désastreux d’Airbnb sur un marché locatif déjà très tendu – un impact comparé à un désastre.
Maxime Roy-Allard est porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec. Gabrielle Renaud est organisatrice communautaire au Comité logement du Plateau Mont-Royal (quartier du centre de Montréal). Gaétan Roberge est organisateur communautaire du Comité logement Ville-Marie (quartier de l’hypercentre de Montréal). Ils s’adressent tous trois à la Ministre du Tourisme, Caroline Proulx, qui a récemment déclaré vouloir mieux encadrer l’activité d’Airbnb. Ils expliquent en quoi cette régulation est une nécessité et une urgence.
En effet, le Québec connait actuellement une pénurie de logements sans précédent. Les taux d’inoccupation sont historiquement bas. Et les habitants peinent à se loger. « Or, des milliers de logements sont actuellement retirés du marché locatif traditionnel pour être loués à des touristes à des fins commerciales. Certains propriétaires évincent même des locataires dans le but de transformer leur logement en hôtel Airbnb pour ainsi augmenter rapidement leurs profits. Non seulement ce phénomène vient accentuer la pénurie de logements, mais il participe à la hausse rapide du prix des loyers environnants et cause de nombreux troubles de voisinage » dénoncent les trois co-auteurs.
Ils se lancent ensuite dans un vibrant plaidoyer pour défendre les villes et leurs habitants contre une soumission aux seuls touristes : « Ayant un statut plus vulnérable, les locataires doivent être plus protégés contre cette marchandisation à outrance du logement. Puisque nous considérons le logement comme un droit fondamental qu’il faut garantir et protéger, il est primordial d’agir contre les Airbnb de ce monde. (…) Airbnb n’est ni une économie collaborative ni une économie de partage. (…) La grande majorité (69 %) de l’offre Airbnb à Montréal est constituée de logements entiers loués une grande partie de l’année. (…) Contrairement à l’image qu’elle veut se donner d’elle-même, Airbnb est une véritable business. Mais une business aux conséquences désastreuses ».
Les trois auteurs demandent ensuite à la ministre de durcir la réglementation, et de limiter la location Airbnb à la seule résidence principale des propriétaires, en limitant fortement le nombre de jours autorisés par an, tout en imposant un enregistrement en mairie pour vérifier la conformité des loueurs avec la loi. Parallèlement, ils insistent pour que les réglementations soient plus sévèrement appliquées : « Revenu Québec, chargé depuis l’an dernier de faire respecter la loi, devrait passer en deuxième vitesse, c’est-à-dire cesser de donner des avertissements et dresser des contraventions envers les exploitants délinquants. Cela permettrait d’éliminer une grande partie de l’offre et d’ainsi récupérer des centaines, voire des milliers de logements » réclament les trois auteurs.
Les trois défenseurs des locataires évoquent enfin une dernière proposition et un dernier argument, plus original. Airbnb se défend souvent en expliquant qu’elle permet aux propriétaires d’arrondir leurs fins de mois, et ainsi pouvoir continuer à habiter en centre-ville. Or, au Québec, la location Airbnb est interdite aux locataires, sauf accord de leur propriétaire (ce qui n’arrive jamais), sous peine de voir leur bail résilié. « Au final, le luxe de pouvoir arrondir ses fins de mois est réservé aux propriétaires, qui ont, en moyenne, des revenus deux fois plus élevés que ceux des locataires » notent les trois auteurs.
Ils réclament en conclusion à la ministre de prendre les mesures nécessaires pour que « le parc de logements locatifs soit consacré prioritairement à l’objectif pour lequel il a été construit : loger convenablement les citoyens et citoyennes de nos villes et villages ».
Un texte stimulant, clair, percutant et intelligent.