Au cours d’une longue interview au site de La Tribune, Emmanuel Marill, directeur France d’Airbnb, lance un grand cri d’amour pour notre pays… tout en louvoyant sur les nombreuses zones d’ombre de la plateforme. Il déclare notamment que « la France est une bénédiction pour Airbnb, et pas l’inverse ». Une bénédiction, certes, mais pas au point de respecter ses lois ou leur esprit !
Airbnb aime la France, mais, quand on lui parle d’évasion fiscale et des 100 000 euros d’impôt sur les sociétés qu’a payés Airbnb en France en 2016, Emmanuel Marill refuse de répondre : « Les 100.000 euros, je ne les commente pas, car nous sommes une entreprise privée et que nous n’avons pas vocation à communiquer quoi que ce soit sur notre fiscalité. Nous ne voulons pas donner d’informations à nos concurrents » déclare le directeur France d’Airbnb.
Il admet, à demi-mot, que la plateforme profite d’un cadre légal qui lui est particulièrement favorable, puisqu’il reconnaît que les principes régissant la fiscalité ne correspondent plus à la logique de l’économie numérique (sans évoquer pour autant l’évasion fiscale) : « Mais je comprends que les pouvoirs publics travaillent à repenser le logiciel fiscal. Le système actuel a été créé à une époque où les usines, les bureaux et les entrepôts étaient localisés au même endroit. En 2018, il y a des BlaBlaCar, des Sigfox, OVH, Google, Amazon… Bref, des géants français et internationaux du numérique qui ont un autre modèle économique. La fiscalité doit s’y adapter ». En clair : Airbnb aime la France, mais si les règlements européens lui permettent de ne pas payer d’impôt dans ce pays qu’elle aime tant, la plateforme ne se gêne pas pour le faire…
Il en va de même pour les législations et réglementations mises en place pour encadrer l’activité d’Airbnb. La plateforme se distingue pour la lenteur et la mauvaise volonté avec laquelle elle applique ces dispositions, une situation criante à Paris. Emmanuel Marill répond en mettant en avant les domaines où Airbnb a fait preuve de bonne volonté (collecte de la taxe de séjour – certes sous-évaluée – notamment), mais conteste sur le fond les dispositifs choisis par la ville. C’est la réponse classique d’Airbnb : la plateforme applique les lois qui lui semblent justes ; si elle ne les approuve pas, elle ne fait rien (c’est un euphémisme) pour faciliter la tâche des municipalités.
Emmanuel Marill atteint sans doute le sommet de la tartuferie quand il affirme sans rire : « Révolutionner le voyage, c’est bien, mais pas au détriment des populations locales. Je ne serai pas l’ambassadeur d’une entreprise qui a un impact négatif fort sur le logement ». Alors que l’effet négatif d’Airbnb sur le marché immobilier est bien connu, dans toutes les villes touristiques du monde, provoquant des plaintes, manifestations, réactions des habitants et des politiques, à Paris, Lisbonne, Barcelone, Madrid, Venise, Berlin, New York… À Paris, 20 000 logements ont été soustraits du parc locatif pour être placés sur Airbnb.
» J’ai proposé dès janvier 2018 de mettre en place le blocage à 120 jours dans les quatre arrondissements centraux de Paris, confrontés à une forte pression immobilière. Le blocage a déjà conduit de nombreux profils de fraudeurs à se désactiver. Les résultats sont là » déclare Emmanuel Marill, qui s’enorgueillit de simplement respecter la loi, mais uniquement dans 4 arrondissements de Paris (alors que la limite des 120 jours s’applique à la France entière), et reconnaissant implicitement que la plateforme dispose d’outils pour lutter contre la fraude… mais qu’elle ne les utilise que contrainte et forcée, si la pression des villes devient trop forte, pour donner un signe de bonne volonté !
Au final, Emmanuel Marill a raison : la France est peut-être une bénédiction pour Airbnb. Mais Airbnb n’est, assurément, pas une bénédiction pour la France !