Dans une tribune publiée dans Le Monde, deux sociologues, Ivaylo Petev et Sander Wagner, détaillent les dérives qu’induit le phénomène Airbnb : discriminations, mutation de la vie de quartier, impact sur le marché immobilier.
Ils en concluent que la législation et la régulation doivent être plus réactives pour faire face à cette économie supposément de partage, mais qui s’est professionnalisé à outrance : « la plate-forme profite de la lenteur des instances de régulation à encadrer cette nouvelle économie », pointent les deux auteurs.
Ils soulignent ainsi qu’une écrasante majorité des offres proposées concernent des logements entiers, le partage d’appartement (location d’une chambre notamment) représente la portion congrue de l’offre Airbnb : 13 % à Paris, 22 % à Lyon et 24 % à Bordeaux.
Le tout, avec des disponibilités moyennes qui prouvent bien qu’une majorité des offres proviennent de professionnels : « les logements s’affichent disponibles à la location pour une moyenne de 85 jours par an à Paris, 81 jours à Lyon et 111 jours à Bordeaux, pour un taux d’occupation de respectivement 92, 54 et 74 jours. Cela représente un parc immobilier conséquent. Paris, avec plus de 60 000 logements, est le plus grand marché d’Airbnb dans le monde. Six fois moindre en taille, les stocks lyonnais et bordelais restent proportionnellement importants », exposent Ivaylo Petev et Sander Wagner.
Les conséquences sont connues : transformation des quartiers, qui se retrouvent saturés de touristes, et où l’offre des commerces de proximité se concentre sur les besoins touristiques ; transformation d’immeubles résidentiels en véritables hôtels clandestins, avec de graves conséquences sur le quotidien des voisins ; et surtout pression accrue sur le parc immobilier.
« Le transfert de logements vers le marché touristique réduit d’autant l’offre de longue durée et en augmente les prix. Sur le marché américain, chaque fois que l’offre d’Airbnb croît de 10 %, les prix du marché locatif augmentent de 1 %. Or l’offre d’Airbnb à Paris, elle, a crû de 124 % entre mai 2015 et novembre 2019… » détaillent les deux auteurs.
Ivaylo Petev et Sander Wagner évoquent enfin les discriminations et le peu d’énergie que met Airbnb à lutter contre. Ils ont justement travaillé expérimentalement sur ce sujet : « Nous avons mené une expérience, en 2017, en créant 40 profils fictifs de locataires, émettant des demandes de location auprès de 4 000 hôtes d’Ile-de-France. Identiques en tous points, ils différaient uniquement par le sexe et le prénom. Les profils avec un prénom féminin à consonance française ont reçu 70 % de réponses positives, les profils avec un prénom masculin à consonance française 57 %, les profils au prénom féminin à consonance arabe 54 %, les profils masculins à consonance arabe 41 %… » précisent les deux auteurs.
Pour les hôtes, le résultat est le même : les profils à consonance française louent davantage et plus cher. Des solutions existent, mais Airbnb traîne des pieds. La plateforme « refuse de donner accès à l’historique informatique des transactions de chaque usager, empêchant ainsi l’identification et la poursuite pénale des actes de discrimination. L’y contraindre serait une solution de bon sens ». Obliger à anonymiser les profils serait également une solution.