Dans une tribune parue dans Le Monde, la sociologue Johanna Dagorn et le juriste Matthieu Rouveyre démontrent qu’Airbnb tend à repousser les classes les plus précaires à la périphérie pauvre des villes.
Le phénomène est malheureusement bien connu. « La lucrativité de ce type de location a poussé de nombreux petits investisseurs à acheter des appartements, jusque-là occupés par des habitants à plein temps, pour les proposer à des touristes. Nous distinguons bien ici les propriétaires occupant leur résidence principale, qui proposent occasionnellement leur bien à la location saisonnière, de ceux qui dédient exclusivement leur acquisition à la location de courte durée. Ce sont bien les activités de ces derniers qui, regardées de manière systémique, ont des conséquences néfastes sur le droit à la ville », écrivent les deux auteurs.
Comme, dans le même temps, les constructions de nouveaux logements sont limitées dans les grands centres urbains, par manque de foncier disponible, « chaque logement « confisqué » au parc des résidences principales au profit de la location saisonnière participe à accroître la tension sur un marché déjà saturé », exposent Johanna Dagorn et Matthieu Rouveyre.
« Entre 2016 et 2019, le nombre d’offres de logements entiers (par opposition aux chambres) proposées sur Airbnb a augmenté de 70 % à Paris et de 159 % à Bordeaux. Si les réglementations votées par les municipalités concernées ont eu pour effet de limiter cette augmentation à compter de 2018, les offres demeurent toujours plus nombreuses. La loi de l’offre et de la demande a pour conséquence d’augmenter les prix du foncier et des loyers et de dresser des barrières financières infranchissables pour un nombre croissant de ménages. Les premières victimes de « l’airbnbisation » des villes sont donc les plus précaires ou les moins solvables, mais aussi les classes moyennes », poursuivent les deux auteurs.
A Paris ou à Bordeaux, acheter un logement en centre-ville impose désormais de faire partie des 20% d’habitants les plus riches de la ville. La gentrification a envoyé les classes moyennes dans la périphérie des villes, où les prix de l’immobilier les autorisent encore à habiter. Mais pour les plus précaires, même ces périphéries ne sont plus abordables. Elles se retrouvent donc repoussées en périphérie de la périphérie, dans des petites communes pauvres qui ne peuvent pas répondre au défi de cet afflux de population : « le processus de relégation et de ghettoïsation des populations les plus fragiles non plus à la périphérie, mais dans cette troisième zone où l’Etat est de moins en moins présent, ajoute de la pauvreté à la pauvreté », affirment Johanna Dagorn et Matthieu Rouveyre.
D’où une urgence pour le politique de reprendre fermement la main : « face à « l’innovation technologique » des plates-formes comme Airbnb, il appartient aux politiques publiques de se montrer tout aussi novatrices au service d’un « droit à la ville » réinventé », réclament les deux auteurs.