L’explosion de biens immobiliers mis en location via Airbnb réduit considérablement l’offre de logements de longue durée dans les grandes villes françaises. Principe de la rareté : une raréfaction des logements disponibles entraîne nécessairement une escalade des prix de l’immobilier, surtout à Paris où peu de nouveaux logements sont construits.
Star de l’économie collaborative, Airbnb est la plateforme communautaire la plus prisée des propriétaires, et ce pour un objectif bien particulier : rentabiliser au maximum son bien. Fondée en 2008, l’entreprise met aujourd’hui en relation plus de 160 millions d’utilisateurs à travers plus de 191 pays et 65 000 villes.
Aujourd’hui, n’importe qui peut donc louer, une chambre, un appartement, une villa voire même un château — Airbnb en propose plus de 1 400 — sans passer par une agence.
Le but avoué d’Airbnb et consorts est de « monétiser un espace inoccupé et de le mettre en avant auprès de millions d’utilisateurs » et ainsi casser le modèle classique de l’hôtellerie ce qui permet de contourner certaines règles du secteur et multiplier les possibilités de logements et opportunités de voyage. Cette nouvelle façon de prendre des vacances comporte pourtant des revers sur les plans social et urbanistique.
Paris est la ville dans le monde qui propose le plus de logements Airbnb et le plus de personnes ayant séjourné via cette plateforme. La Ville Lumière est donc bien placée pour étudier l’évolution du secteur immobilier et les changements dans les habitudes de location. Pour plus de 1,35 million de logements à Paris, près de 60 000 sont des logements Airbnb.
Si dans la capitale française, les logements ont toujours été onéreux, le loyer moyen a continué d’augmenter pour les studios, trois et quatre pièces alors qu’il a baissé dans le reste de l’hexagone. En 2016, le loyer mensuel moyen d’un appartement trois-pièces est de 1 352 €.
Une analyse du magazine Challenges met en évidence que « sur le marché parisien, où la construction de logements neufs est anecdotique, cela signifie qu’une partie de l’offre de très petites surfaces est moins disponible qu’auparavant. Century 21 avance l’hypothèse suivante : une partie des biens sont retirés du marché pour être vendus ou exploités en location touristique de type Airbnb. D’ailleurs, le réseau d’agences constate une baisse de l’investissement dans le locatif de 4,8 % sur un an dans la capitale, alors que beaucoup d’acheteurs se reportent sur la Petite couronne ou dans les autres grandes villes de France. »
« Dans Paris intra-muros, les investisseurs ont disparu. Des agences qui faisaient jusqu’à 25 % de leur activité avec les investisseurs ont dû trouver un substitut à cette clientèle qui a fui. C’est notamment le cas pour les acheteurs des chambres de service, qui louaient à 40-45 €/m²/mois et qui ont dû retomber à 30 euros, ce qui a ramené le rendement net à 2/2, 5 %. C’est trop faible compte tenu du risque locatif » détaille Pascal Boulenger, cofondateur de MeilleursAgents.com.
Les politiques publiques peinent à lutter contre les dérives d’Airbnb
Pour faire face à l’inflation des loyers, le gouvernement a mis en place, d’abord à Paris, « l’encadrement des loyers ». Cette mesure ne vise en rien le secteur de l’économie collaborative, mais lui en a indirectement profité. Sur Challenges, Jean-François Buet, président de la fédération nationale de l’immobilier explique : « La rentabilité d’un appartement est en moyenne de 2 % après impôt. C’est peu. On a pourtant un marché de la location qui présente des risques, qui sont peut-être sous-estimés, et des charges qui s’envolent (énergie, impôts, etc.) ».
Pour enfoncer le clou, un rapport de Century 21 fustige l’encadrement des loyers. On y apprend entre autres que « les freins à la mobilité sont principalement de deux ordres : le prix moyen d’une transaction parisienne, qui plus est en hausse de 3,9 % en 2015, n’encourage pas la primo accession. […] la baisse de l’investissement locatif (de 4,8 % dans la Capitale), conjuguée à de nombreux changements de destination des biens loués en réponse à l’encadrement des loyers (bien retiré du marché pour être vendu ou mis en location touristique) ont dégradé l’offre de biens disponibles sur le marché, amenant les locataires à renoncer à déménager ».
En définitive, Airbnb a réussi à trouver le modèle suffisamment souple pour profiter des aides aux locataires, rendant ainsi l’accès au logement à long terme beaucoup plus compliqué : il est bien plus rentable pour un propriétaire de louer son bien sur Airbnb où les contrôles sont rares. Paris n’est d’ailleurs pas la seule ville à craindre pour la qualité et l’abondance de son parc immobilier. De Berlin à San Francisco (ville natale d’Airbnb), les mesures restrictives se multiplient pour protéger un patrimoine immobilier et lutter contre « l’assèchement du parc locatif privé ».
Vers un retour des logements vacants sur le marché ?
Consciente du problème engendré par une économie du partage muée en libéralisation sauvage du patrimoine foncier, la ville de Paris a tenté de renforcer son arsenal législatif pour inciter les propriétaires à revenir au marché classique en mettant au jour MULTILOC, un dispositif qui incite financièrement les propriétaires de logements vacants à revenir sur le marché.
« Ce dispositif est destiné à mobiliser, sur le territoire parisien, les logements vacants du parc privé, grâce à un vaste réseau de partenaires, professionnels de l’immobilier, engagés aux côtés de la ville pour la réussite de ce projet. » […] « Il repose sur une aide à la mise en location fournie aux propriétaires. En contrepartie, les propriétaires s’engagent à mettre sur le marché leurs biens à un loyer inférieur de 20 % aux loyers de référence fixés par le Préfet et d’enrichir ainsi l’offre de logements accessibles dans le parc privé. »
Si le modèle proposé par le logement collaboratif a révolutionné la manière de voyager, il a aussi privé les grandes villes de leur capacité de logements à long terme et handicapé la mobilité non touristique. Étudiants et travailleurs obligés de se rapprocher des métropoles doivent lutter davantage pour trouver un logement adéquat. Même si le modèle Airbnb n’est pas seul responsable de la crise du logement, la dérégularisation qu’il a permise a incité des abus chez certains propriétaires et provoqué des effets pervers en combinaison avec certaines lois. Quoi d’une politique publique plus restrictive ou collaborant avec ces plateformes, sans oublier les exigences des propriétaires privés et des agences arrivera à résoudre une crise du logement qui ne touchait pas certaines villes il y a peu.