Une enquête exclusive du site Alternatives Economiques détaille l’emprise majeure qu’a pris Airbnb sur les secteurs du tourisme et de l’immobilier en France, avec des effets dévastateurs.
« Le revenu moyen par hôte au cours des douze derniers mois s’élève à 3 960 euros. Et il ne s’agit que d’une moyenne… On s’éloigne ainsi sensiblement de l’économie dite « du partage », qui caractérisait les débuts d’Airbnb, où l’on était accueilli chez l’habitant qui louait occasionnellement une chambre pour arrondir ses fins de mois. De plus en plus d’utilisateurs de la plate-forme se professionnalisent, quitte à flirter avec l’illégalité » expose ainsi l’enquête.
Dans certaines villes touristiques, l’offre Airbnb représente jusqu’à 18% des logements disponibles !
En analysant des données fournies par Murray Cox sur les 22 800 communes de France comptant au moins une annonce, le site propose un panorama inquiétant de l’emprise de la plateforme. Ainsi, on apprend que les annonces concernant des logements entiers (donc s’éloignant du cas de la chambre à louer) couvrent 87% du total à Paris, un chiffre qui monte à 89 % à Nice, 92,5 % à Antibes, 94,5 % à Cannes et qui frôle les 100 % dans certaines stations de ski.
En rapportant le nombre d’annonces aux logements disponibles dans la ville, on découvre qu’Airbnb phagocyte de 10 à 18% des logements des principales stations de ski des Alpes et de nombreuses petites villes de Corse ou de Martinique – une emprise réelle ! Dans de nombreuses communes comme Lyon, Bordeaux ou Marseille, l’offre Airbnb dépasse l’offre hôtelière – pour aller jusqu’à 5 fois plus d’hébergements Airbnb que de chambre d’hôtels dans certains stations balnéaires de la Côte d’Azur !
18% de multi-loueurs à Paris, jusqu’à 70% dans certaines stations de ski !
En moyenne, sur les 22 800 communes, 21% des logements ont été loué plus de 90 jours par an – limite au-delà on commence à estimer qu’il s’agit d’une pratique commerciale. A Paris, cette part s’élève à 25 %, mais elle grimpe à 42 % à Nantes, 43,5 % à Tours, 44% à Nancy, 46 % à Strasbourg, 47 % à Dijon, et culmine à 54 % à Reims !
Par ailleurs 18% des annonces publiées à Paris sont le fait de propriétaires disposant de plusieurs logements à louer sur Airbnb, des « multi-loueurs » clairement professionnels – certains proposent entre 50 et 139 annonces ! Mais cette proportion de multi-loueurs dépasse les 50% dans des villes hautement touristiques comme Carcassonne, Colmar, Honfleur, Cannes, Lacanau ou Porto Vecchio, et elle atteint les 70% dans certaines stations de ski. Où est l’économie collaborative là-dedans ?
Airbnb « phagocyte le marché de la location de longue durée »
« Ce sont autant de faisceaux d’indices de l’existence de locations illégales, mais aussi du fait que de nombreux appartements de location de courte durée phagocytent le marché de la location de longue durée », explique Murray Cox.
Le fait est que l’emprise d’Airbnb pèse sur le marché locatif, tend à vider les quartiers touristiques de leurs habitants, et contribue à la hausse des loyers – si bien que la contestation contre la plateforme, d’abord le fait d’associations hôtelières, a gagné de plus en plus de citoyens, notamment à Paris : « Aujourd’hui, il y a une très forte demande de la part des Parisiens de régulation et d’encadrement », rapporte Ian Brossat, adjoint à la maire en charge du logement.
Les villes sont entrées en guerre contre Airbnb, en mettant en place l’enregistrement obligatoire, en multipliant les contrôles, en faisant la chasse aux annonces illégales. Mais elles se heurtent à une limite : il semble impossible de contraindre Airbnb de retirer les annonces illégales de son site, en vertu de lois européennes votées grâce à un efficace lobby de la plateforme. Ainsi le décret prévoyant des sanctions financières contre Airbnb si elle laissait des annonces sans numéro d’enregistrement n’a pas pu être publié : « On m’a expliqué que c’était lié au droit européen et qu’Airbnb avait fait une telle pression sur la Commission européenne que l’on ne pouvait pas publier ce décret prévoyant des sanctions parce qu’on allait se faire retoquer au niveau de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) », affirme Ian Brossat.
La loi ELAN, publié le 4 avril, et qui prévoit elle aussi de sanctionner financièrement Airbnb, relance ce débat. Airbnb se défend à nouveau avec le droit européen. Faudra-t-il aller batailler jusqu’à Bruxelles pour rendre nos villes à leurs habitants ?